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«C’EST LE JOUR DE L’AN : QUE CRÈVE LE VIEUX MONDE»

janvier 1, 2022

Albert Libertad, dans le journal L’Anarchie, 27 décembre 1906


« Ah ! Ah ! C’est le jour de l’an ! La voix claire de l’enfant et la voix cassée du vieillard entonnent la même ballade. La balade des vœux et des souhaits. L’ouvrier à son patron, le débiteur à son créancier, le locataire à son propriétaire, disent la ritournelle de la bonne et heureuse année. Le pauvre et la pauvresse s’en vont par les rues chanter les complaintes de la longue vie.
Ah ! Ah ! C’est le jour de l’an ! Il faut que l’on rie ! Il faut que l’on se réjouisse. Que toutes les figures prennent un air de fête. Que toutes les lèvres laissent échapper les meilleurs souhaits. Que sur toutes les faces se dessine le rictus de la joie. C’est le jour du mensonge officiel, de l’hypocrisie sociale, de la charité pharisienne. C’est le jour du truqué et du faux, c’est le jour du vernis et du convenu. Les faces s’illuminent et les maisons s’éclairent ! Et l’estomac est noir et la maison est vide ! Tout est apparat, tout est façade, tout est leurre, tout est tromperie ! La main qui sert la vôtre est une griffe ou une patte. Le sourire qui vous accueille est un rictus ou une grimace. Le souhait qui vous reçoit est un blasphème ou une moquerie. […]
Vous voulez des vœux, en voilà : que crève le propriétaire qui détient la place où j’étends mes membres et qui me vend l’air que je respire !
Que crève le patron qui, de longues heures, fait passer la charrue de ses exigences sur le champ de mon corps !
Que crèvent ces loups âpres à la curée qui prélèvent la dîme sur mon coucher, mon repos, mes besoins, trompant mon esprit et empoisonnant mon corps !
Que crèvent les catalogués de tous sexes avec les désirs humains qui ne se satisfont que contre promesses, fidélités, argent ou platitudes !
Que crève l’officier qui commande le meurtre et le soldat qui lui obéit ; que crèvent le député qui fait la loi et l’électeur qui fait le député !
Que crève le riche qui s’accapare une si large part du butin social ! mais que crève surtout l’imbécile qui prépare sa pâtée.
Ah ! Ah ! C’est le jour de l’an !
Regardez autour de vous. Vous sentez plus vivant que jamais le mensonge social. Le plus simple d’entre vous devine partout l’hypocrisie gluante des rapports sociaux. Le faux apparaît à tout pas. Ce jour-là, c’est la répétition de tous les autres jours de l’an. La vie actuelle n’est faite que de mensonge et de leurre. Les hommes sont en perpétuelle bataille. Les pauvres se baladent du sourire de la concierge au rictus du bistrot et les riches de l’obséquiosité du laquais aux flatteries de la courtisane. Faces glabres et masques de joie.
Pour que nous puissions chanter la vie, un jour, en toute vérité, il faut, disons le bien hautement, laisser le convenu et faire un âpre souhait :
Que crève le vieux monde avec son hypocrisie, sa morale, ses préjugés qui empoisonnent l’air, et empêchent de respirer. Que les hommes décident tout à coup de dire ce qu’ils pensent. Faisons un jour de l’an où l’on ne se fera pas de vœux et de souhaits mensongers, mais où, au contraire, on videra sa pensée à la face de tous. […] Et sera universel ce souhait qui semble si méchant et qui est pourtant rempli de douceur : que crève donc le vieux monde ! »