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INTERVIEW : L’ART DE PEINDRE LES BANQUES

février 3, 2021

L’artiste et vandale Seday a peint environ 100 banques françaises en quelque six années. Il est devenu une figure de proue des mouvances d’artistes anonymes qui transforment les distributeurs en tableaux expressionistes, en attaquant systématiquement, en marge des manifestations, les distributeurs et devantures de banques sur son chemin. C’est notamment à lui qu’on doit les fameuses projections de peinture multicolore à l’entrée des guichets bancaires de France, de même que quelques autres dégâts matériels infligés à l’aide d’un burin. Interview exclusive, au sujet du capitalisme et de sa façon particulière de le combattre.

« -Pourquoi vandaliser la façade des banques françaises?

-Seday : Eh bien, les banques représentent l’idée du capitalisme dans tout ce qu’il a de plus abject. Ce sont elles qui spéculent. Elles sont à l’origine de la prétendue crise, qui dure déjà depuis des décennies. Durant ce laps de temps, les 500 familles les plus riches de France se sont encore enrichies de plus de 25 %, alors que le reste de la population s’est appauvri. Pareil à l’échelle mondiale. Le jeu est truqué.

-Comment ça?

-Le jeu est truqué en ce sens que la population est obligée de jouer : on est obligé, par exemple, de disposer d’un compte bancaire. Je casse les banques pour protester face à ça, mais aussi pour faire réfléchir les gens. Imagine une ville où toutes les banques seraient systématiquement attaquées. Je suis certain que cela aurait un impact fort. Pendant le mouvement des Gilets Jaunes, ce sont des centaines de banques qui ont été amochées. On se souvient tous de la quantité de banques cachées derrière des palissades de bois, comme si elles savaient tout à fait ce qui leur est reproché. Les coupables de l’inégalité dans le monde ce sont eux. Et l’inégalité engendre la violence.

– C’est déjà le cas depuis les mouvements sociaux de la loi travail en 2016. À Nantes, Rennes ou Paris, on voit de plus en plus de banques saccagées.

– En effet, le mouvement a pris. On était très peu à le faire au début, mais depuis, à chaque manif, les banques sont devenues une cible privilégiée. Nous nous inscrivons dans le courant Black block qui est de s’attaquer au symbolique. Depuis 2006, les cortèges de manifestations sont suivis d’un cortège de nettoyage qui a pour but, en quelque sorte, d’effacer les traces de la contestation. En parallèle, les grands médias récrivent l’histoire en temps réel :  » il n’y a pas de contestation, vous pouvez dormir tranquille, tout est normal « … Notre riposte est de laisser une trace. Une trace symbolique, comme une façon de souligner ce qui ne va pas. J’ai entendu une fois un enfant demander à sa mère: « pourquoi les banques se cachent derrière ces palissades ? » Et j’ai compris que l’on avait touché le bon endroit. C’est pour cela que dans ma pratique, je ne m’attaque qu’aux banques et de façon systématique. Aussi, j’utilise l’extincteur de peinture plutôt que le burin, car la projection de couleur créer un choc visuel plus proche de l’art que celui de la destruction pure. Je crois plus en la transformation qu’en la destruction. Nous sommes dans une époque de grande transformation.

– Parle moi de ton parcours.

– Je viens du graff. Du vandal pur et dur. J’ai pendant longtemps tagué des métros, des trains, de la street, avec différents pseudos. Un jour, je me suis rendu compte que ça n’était pas l’ego trip qui m’importait mais le cri de révolte. J’ai toujours aimé l’art de Jackson Pollok, la gestuelle, le corps, les trips, et les cris. Mon parcours est un cri de couleur. C’est mon langage contestataire.

– Parle-moi de la première banque que tu as « attaquée »

– C’était un Crédit lyonnais. Au début, je ne cassais que des banques Crédit lyonnais. Avec un tag qui disait : « Give me my money back. » C’était il y a environ douze ans, lorsque le Crédit lyonnais était à deux doigts de faire faillite. Le gouvernement avait alors obligé chaque citoyen inscrit à la banque à payer 250 euros – c’était directement prélevé de notre compte pour « sauver la banque », prétendu pilier de notre économie. Est-ce que, maintenant qu’ils font à nouveau des milliards de bénéfices, ils nous ont rendu nos 250 euros ? Non, bien sûr. Ils ont juste changé de nom. Ils s’appellent désormais le LCL. Je sais bien que l’on n’arrêtera pas le capitalisme en cassant des banques – il s’agit d’un symbole.

– Depuis, il me semble que tu t’es diversifié. Tu attaques d’autres enseignes que le LCL

-En effet. Aujourd’hui, je m’attaque à toutes les banques, avec une petite préférence pour la Société Générale, surtout depuis la fuite des Panama Papers.

– Depuis les manifestations des Gilets Jaunes, on a vu de nombreux casseurs de banques agir. Dirais-tu que chaque casseur a un style particulier ?

– Oui, il y en a que l’on reconnaît tout de suite. Quand je vois tel ou tel slogan, je sais direct qui est l’auteur. C’est un peu comme dans le graffiti, chacun a sa patte. Il y a aussi celui qui peint toutes « ses » banques systématiquement en jaune. Pour moi, c’est comme du Land Art, en version hardcore. Sinon, je crois en effet avoir influencé des plus jeunes avec des bank paintings, pourvu que le mouvement continue à prendre de l’ampleur … »