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LA FRESQUE CONTRE LA RÉPRESSION REMPLACÉE PAR UN «MUCUS INSURRECTIONNEL» SELON L’AUTEUR DU RECOUVREMENT

octobre 11, 2021


– Art contemporain municipal –


Le peintre parisien «La Fleuj» s’est fait connaître en représentant des vulves vertes en gros plan, touchées par des mains griffues. Un univers qui a séduit la mairie de Nantes et l’association de street art Plus de Couleurs, qui l’ont recruté pour repasser la grande fresque contre les violences policières. Elle avait été réalisée sur les lieux de la charge mortelle de la fête de la musique, en 2019, peu après la disparition du jeune Steve.
Dans ses prises de parole, La Fleuj dénonce les « merdes labellisées street art tendance pseudo militantes » ou encore le « street art politique de couillon sorti des beaux arts». Un vrai dur. Il a donc recouvert le mur réalisé après la noyade de Steve. Pour quel résultat ? Une jolie décoration. Une grande affiche collée sur le mur évoque un portrait en noir et blanc découpé, traversé par des lignes de couleurs vives. Ces aplats et ce papier peint ne sont pas sortis d’une émission de Valérie Damidot : il faut se pencher sur un petit panneau sur la droite du mur pour comprendre qu’il s’agit du portrait de l’écrivain afro-américain James Baldwin, militant antiraciste et homosexuel.
Selon l’écriteau, le mur a «des allures d’écran et l’affichage de l’image semble être interrompu, comme si le signal avait sauté». La «bouche manquante de ce portrait fractionné et décalé» suggère «le brouillage du message qu’il a porté». Opération réussie : le message est pour le moins «brouillé», à en croire le scepticisme des passants. Impossible pour les non initiés au milieu de l’art contemporain de saisir la subtilité de message. Le même panneau souligne tout de même la «résonance très particulière dans le cadre nantais, en un lieu qui est désormais chargé historiquement et symboliquement dans le débat sur les violences policières». Une manière alambiquée de ne pas dire clairement que la police a fait tomber 14 personnes dans la Loire à quelques mètres de ce mur en tirant des grenades, et blessé des dizaines d’autres.
Apothéose en conclusion : l’auteur «donne corps à la révolte récurrente dans son travail» par des «organismes quasi-monstrueux qui constituent ce qu’il appelle un mucus insurrectionnel». Le mucus est la substance visqueuse expulsée par un être vivant. Littéralement chez les humains : de la morve. Un mollard sur une fresque contre les violences policières, à l’endroit exact d’un crime d’Etat ? Le sens de la mise en scène.
Nantes est la capitale du toc. La mairie avait déjà créé un faux squat artistique baptisé «villa ocupada», sponsorisée par Vinci, alors même que des combats pour défendre de vraies occupations à Notre-Dame-des-Landes faisaient rage. A présent, elle organise l’effacement d’une fresque dérangeante par du «mucus insurrectionnel» subventionné. Combien a coûté l’opération ?
Il y a deux semaines, le collectif «Ju’Steve», qui n’est pas à l’origine de la fresque, avait donné son feu vert à ce recouvrement sous prétexte que la peinture était «trop politique». Ses membres avaient carrément déclaré dans la presse : «On n’est pas pro-policiers, mais on n’est pas dans le débat des violences policières. On a toujours été apolitique.» Comment peut-on «ne pas être dans le débat des violences policières» sachant les circonstances de la mort de Steve ? N’était-ce qu’un simple accident ? Si Steve n’était pas politisé, comment nier le caractère politique de la répression des teufs ? Autre justification : il fallait en finir avec les «dégradations» commises par l’extrême droite. Pourtant, cet effacement total est précisément une victoire pour ceux qui voulaient voir disparaître ce mur depuis 2019.
Dans la période pré-fasciste actuelle, ponctuée de violences policières et de reculs des libertés, les expressions qui s’opposent à l’Etat policier sont trop rares. Souvent, elles disparaissent. A cause de la répression, du nettoyage, et parfois même lors d’habiles mises en scène municipale pseudo-subversives. Il ne tient qu’à nous, collectivement, de faire refleurir ces résistances, sur les murs, dans les rues, dans les esprits.