Nantes Révoltée

Actualités en direct, infos sur les luttes environnementales et sociales à Nantes et dans le monde

PARAPLUIES ET HOMARD LIBÉRÉS : LES DESSOUS D’UNE AFFAIRE UBUESQUE

juillet 22, 2020

Nantes s’étonne depuis septembre dernier d’un curieux feuilleton judiciaire : cinq personnes ont été arrêtées et placées en garde-à-vue pendant 48h, accusées d’ « association de malfaiteurs », dont trois pour le transport d’un homard géant en papier mâché et deux pour le transport de parapluies, de pétards, d’une banderole et de peinture. Nous apprenions par voie de presse que le homard serait libéré, puis par voie d’ordonnance que les parapluies seront également rendus par la justice : choses faites aujourd’hui !

Si, présentée ainsi, la situation semble cocasse, la réalité de la répression judiciaire l’est beaucoup moins. Le désormais célèbre homard n’est qu’un écran de fumée car, derrière cette histoire risible, une instruction est bel et bien toujours en cours autour de cette manifestation du 14 septembre : les deux personnes arrêtées avec les parapluies et la peinture sont toujours mises en examen et sous contrôle judiciaire depuis 10 mois maintenant dans le cadre de cette affaire. On leur reproche le chef de « participation à un groupement formé en vue de la préparation de violences ou de dégradations ». Par ailleurs, toutes les cinq sont tout de même placées sous le statut de témoin assisté (donc également visés par les actes d’enquête) pour « participation à une association de malfaiteurs ».

Comment en est-on arrivé là ?

Le 26 août, le parquet ouvre une enquête préliminaire sur la foi d’un « renseignement anonyme » qui prétend que « l’ultra gauche » prépare des « violences » pour la manifestation du 14 septembre. La Maison du Peuple, espace de vie et de luttes ouvert par le mouvement des Gilets Jaunes, est placée sous surveillance. Il ne ressortira vraisemblablement rien de probant de cette surveillance, puisque la quasi intégralité du dossier d’enquête sera finalement composée d’un récit fantasmagorique sur les « blacks blocks » et d’un compte-rendu d’une manifestation qui aurait « dégénéré » le 3 août à Nantes. Seuls quelques photos et un vague compte rendu sur les entrées et sorties de certaines personnes de la Maison Du Peuple matérialisent cette surveillance.

Sur cette base creuse, la police dresse une liste arbitraire de sept personnes soupçonnées de la préparation de ces « violences », sans aucun élément permettant de comprendre pourquoi ces sept personnes sont particulièrement identifiées. Parmi elles, quatre seront arrêtées le 14 septembre avant même le départ de la manifestation : l’une qui transportait dans sa voiture des parapluies, une banderole, de la peinture et quelques feux d’artifices ainsi que la personne l’accompagnant, et les trois autres arrêtées avec le homard devant la Maison du Peuple.

Tous et toutes sont placées en garde-à-vue pour association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un délit puni de 5 ans de prison, sans aucun élément ne permettant de le justifier. Pendant 48h, la police cherchera à relier ces cinq personnes et à prouver leur intention de commettre des violences. Elle n’y parviendra manifestement pas, puisque devant le juge d’instruction – après plusieurs heures supplémentaires enfermées dans les geôles du tribunal -, aucune n’est mise en examen pour association de malfaiteurs. Un aveu d’échec pour le parquet. Pour éviter une déconfiture totale, les deux personnes arrêtées avec les parapluies sont néanmoins mises en examen pour le chef de « participation à un groupement formé en vue de la préparation de violences ou de dégradations », et placées sous contrôle judiciaire avec interdiction de manifester à Nantes, interdiction d’entrer en contact (y compris avec les trois autres personnes), interdiction de sortir du territoire national et obligation de pointages réguliers au commissariat.

Le délit de « groupement » vise l’intention de commettre des délits, et non la réalisation du délit et n’est pas très différente en terme de peine. Cela signifie que, dans cette affaire, il est considéré que la détention de parapluies, de peinture et de pétards suffit à montrer l’intention de commettre des violences ou des dégradations. Tout est en vente libre. La police reproche souvent aux détenteurs des parapluies de souhaiter se soustraire aux caméras de vidéosurveillance. Ce qui n’est pas interdit, et ce qui ne saurait constituer une preuve de l’intention de commettre quelque délit que ce soit. Une mise en examen pour ces objets est donc parfaitement disproportionnée. En effet, ces éléments, ainsi que le homard, ne sont que du matériel d’ambiance. Être placé sous contrôle judiciaire pour avoir eu en sa possession des objets destinés à faire de la manifestation un moment joyeux et créatif n’est pas acceptable. Par extension, posséder du matériel défensif comme des masques ou même un casque ne saurait justifier des poursuites pour violences ou dégradations. Le récit policier consistant à affirmer que tout élément trouvé en la possession des manifestants peut servir à commettre des délits, révèle une sur-judiciarisation et une volonté de punir le simple fait de manifester, de contester.

Quelles suites à cette affaire ?

10 mois après les faits, la juge d’instruction est enfin parvenue à la conclusion qu’un homard géant en papier mâché et des parapluies ne peuvent être utilisés pour commettre des violences et a décidé de les rendre aux manifestants. En revanche, la destruction du reste a été ordonnée. Par ailleurs, l’absence de levée du contrôle judiciaire, pour le moment en tout cas, indique que le parquet reste déterminé à faire coller son récit, monté de toutes pièces, sur les deux personnes mises en examen. Un contrôle judiciaire pour avoir eu en sa possession du matériel utilisé fréquemment par des millions de personnes paraît à la fois ridicule et aberrant.
En attendant, entre les 3 semaines d’enquête et l’instruction, la vie privée de 5 personnes aura été fouillée. Pour un homard, des parapluies, des pétards et de la peinture.
Bientôt une instruction pour possession de pâte à fixe, de maquillage et de paillettes ?

La solidarité est une arme !

Lire le rapport d’Amnesty International : « Arrêté.e.s pour avoir manifesté »

L’affaire nantaise p.42