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QUAND LE PRÉFET LALLEMENT CITE LÉON TROTSKY POUR LA NOUVELLE ANNÉE

décembre 31, 2020

Tout le monde connaît le sinistre Préfet Lallement, qui mène dans la capitale une politique répressive d’une extrême violence, avec une répression d’un niveau inédit depuis des décennies. On connaît parfois moins Léon Trotsky, chef de l’Armée Rouge et figure Bolchévique. C’est pourtant le Préfet Lallement qui cite Léon Trotsky sur sa carte de vœux pour l’année 2021.

Voici la citation du chef de l’Armée Rouge, datée du 21 avril 1918 : « Je suis profondément convaincu, et les corbeaux auront beau croasser, que nous créerons par nos efforts communs l’ordre nécessaire. Sachez seulement et souvenez-vous bien que, sans cela, la faillite et le naufrage sont inévitables »

Provocation du Préfet ? Troll ? Incohérence ? Message politique ? Un peu d’histoire.

LIQUIDATION DES ANARCHISTES

Après le renversement du Régime du Tsar, le Parti Bolchévique est loin d’être la seule force révolutionnaire : il y a des syndicalistes, des socialistes-révolutionnaires et d’importants milieux anarchistes qui ont contribué à la Révolution en Russie. Progressivement, les Bolchéviques vont imposer leur pouvoir. Des tensions apparaissent rapidement entre celles et ceux qui souhaitent imposer un communisme autoritaire, sous l’égide d’un Etat centralisé, et les communistes libertaires, qui veulent combiner égalité et liberté : les anarchistes. Des tensions apparaissent rapidement, car les anarchistes veulent que les usines soient autogérées par des conseils d’ouvriers, alors que les Bolchéviques les nationalisent. Les Bolchéviques vont aussi créer une armée hiérarchisée, l’Armée Rouge, avec un service militaire et des commissaires, alors que les anarchistes veulent une armée de volontaires sans chefs, organisée en comités. Assez rapidement, les Bolchéviques vont éliminer les anarchistes Russes : ils sont arrêtés, leurs journaux interdits, leurs locaux fermés. La citation du préfet Lallement s’inscrit justement dans ce contexte : en 1918, Trotsky organise personnellement la répression des anarchistes – qualifiés d’« anarcho-bandits » – et il déclare : « enfin, le pouvoir soviétique débarrasse, avec un balai de fer, la Russie de l’anarchisme ! » Il ne reste que deux issues pour les libertaires: la clandestinité ou la critique, et donc la prison. Le mouvement qui avait été en première ligne des luttes, est liquidé.

RÉPRESSION DE KRONSTADT

1921, la guerre civile fait rage en Russie. La Tcheka, la police politique créée par le Parti Bolchévique, est déjà devenue un pouvoir parallèle qui exécute en secret tous ceux qu’elle juge « ennemis de la révolution ». C’est sur une île forteresse appelée Kronstadt, près de Pétrograd – actuelle Saint-Pétesbourg – qu’une rébellion éclate. Il s’agit d’une base militaire majeure à deux pas de l’ancienne capitale. Les marins, qui ont participé à la Révolution, se soulèvent contre le régime bolchevique. En février, des grèves et des meetings sont organisés à Pétrograd. Face à la répression du nouveau pouvoir, les marins rejoignent le peuple, et exigent la fin de la dictature bolchevique et le rétablissement des libertés politiques de tous les mouvements sociaux du pays. L’Armée Rouge de Trotsky va mener deux assauts majeurs sur la base, faisant des milliers de victimes, et parvient à mettre fin au soulèvement. Une répression au cours de laquelle plus de 2 103 personnes sont exécutées et 6 459 enfermées, les familles des rebelles sont déportées en Sibérie.

REPRESSION DE TAMBOV

Dans l’arrière pays Russe, à Tambov, éclate en 1920 une immense révolte de paysans contre le pouvoir Bolchévique. Contre les réquisitions forcées de grain, et pour ne pas mourir de faim, une armée « socialiste révolutionnaire » se lève, massive et bien organisée. Contre cette insurrection, les bolcheviques créèrent une « Commission plénipotentiaire pour la liquidation du banditisme ». La révolte est écrasée par des unités de l’Armée Rouge, 30 000 soldats sont envoyés, notamment des détachements de la Tchéka, la police politique. L’artillerie lourde et des trains blindés sont utilisés. Des généraux donnent l’ordre, en juillet 1921, de « nettoyer » les « forêts où les bandits se cachent » et tuent les opposants réfugiés dans les bois. Une des premières utilisations de gaz toxiques contre des populations. Des camps de concentration sont ouverts, le leader de la révolte est tué en 1922, les pertes totales s’élèvent à plusieurs dizaines de milliers de morts.


ECRASEMENT EN UKRAINE

Rappelons que la Révolution Russe en 1917 éclate en pleine guerre mondiale, et le nouveau gouvernement Russe négocie avec les Allemands l’arrêt de la guerre. Alors que l’Ukraine participe elle aussi à l’élan révolutionnaire, une partie du pays est laissée en pâture à l’armée allemande qui rétablit les anciens pouvoirs. Un soulèvement paysan s’organise, sous l’égide de l’anarchiste ukrainien Nestor Makhno. Cette armée insurrectionnelle va mettre en déroute les « blancs », les partisans de l’Ancien Régime, et permettre une expérience anarchiste en Ukraine, qui va vite déranger le pouvoir central. Pendant cette période, on instaure le rejet des privilèges, la méfiance envers tous les partis, le rejet de la dictature et de l’Etat, l’autodirection des travailleurs … L’Armée Rouge va intervenir en Ukraine, puis se retirer. Des congrès de travailleurs sont organisés, et Trotsky donne l’ordre d’arrêter tout participant. Il déclare : « II vaut mieux céder l’Ukraine entière à Dénikine [chef des armées blanches] que permettre une expansion du mouvement makhnoviste : le mouvement de Dénikine comme étant ouvertement contre-révolutionnaire pourrait être aisément compromis par la voie de classe, tandis que la Makhnovtchina se développe au fond des masses et soulève justement les masses contre nous ». Épuisée, prise en étau entre les armées « blanches » et l’armée rouge, la « Makhnovtchina » décimée finit par s’effondrer. L’anarchiste ukrainien finira en exil à Paris, et la dictature Bolchévique organisera une famine en Ukraine dans les années 1920.

REPRESSION POLITIQUE

Ces quelques exemples montrent que les opérations répressives et militaires de Trotsky et de son Parti ne visent pas les Tsaristes et les « contre-révolutionnaires », mais bien des opposants à la dictature, et des révolutionnaires de différents courants. Dès les premiers mois de la Révolution Russe, le Parti Communiste devient ainsi le seul parti autorisé au sein des Soviets – les Conseils, des assemblées démocratiques – qui perdent progressivement de leurs pouvoirs. Lénine instaure le communisme de guerre, en avouant s’inspirer de l’économie de guerre allemande. Trotsky aura donc été commissaire à la guerre de 1918 à 1925, déclarant qu’il faut « terroriser l’adversaire », et sera intervenu sur tous les fronts avec son train blindé. Il aura écrasé de nombreuses révoltes pour instaurer un Régime de Parti Unique, avant de tomber lui-même en disgrâce, chassé par Staline. Finalement, le Préfet Lallement n’est pas tellement hors sujet lorsqu’il recycle sa citation sur « l’ordre nécessaire ».